Une inflation historique :
Comme l’a dit Karl Otto Pohl dans les années 80 « L’inflation c’est comme le dentifrice, une fois sortie c’est difficile de la faire re-rentrer dans le tube. Donc le mieux est de ne pas appuyer trop fort sur le tube ». Malheureusement elle est sortie, donc il est important de s’adapter à cette nouvelle variable : inflation et actions, quels critères utiliser.
L’inflation a atteint des niveaux historiques en 2022. Les plus hauts taux depuis la création de la zone Euro en 1999. Et les plus hauts taux depuis plus de 40 ans aux Etats Unis et au Royaume-Uni.
Impossible de savoir si ça va continuer. La seule certitude est que l’inflation est en général un cercle vicieux qui s’auto-entretient. La façon de la combattre est d’augmenter les taux d’intérêts et ralentir la machine économique. Simplement si les prix montent, en réaction les salaires augmentent ce qui en réaction augmente les coûts et donc augmentent les prix. En tous les cas il est nécessaire de connaitre les 3 principaux critères à utiliser pour bien choisir ses actions en période inflationniste. Pour cela nous allons nous baser sur les écrits de Monsieur Warren Buffet.
L’homme qui a battu l’inflation et le marché
Beaucoup d’entre nous n’ont jamais connu de tels taux ni vécu dans de tels environnements. Moi-même je n’étais pas né mais un certain Monsieur Warren Buffet investissait déjà. Entre 1973 et 1982 l’inflation aux Etats-Unis était supérieure à 6% par an. Sur cette période de 10 ans, le S&P500 a augmenté de 18% (soit 1.67% par an) quand Monsieur Buffet et Berkshire Hathaway gagnait 869% (soit plus de 25.94% par an). Nous sommes donc bien avisé de l’écouter.
Critère numéro 1 pour choisir ses actions : Le pricing power
L’entreprise peut-elle augmenter ses prix sans affecter ses volumes vendus. La définition en anglais d’Investopedia est accessible ici. Concrètement, il faut se demander si le business vendra moins s’il augmente ses prix. Quel type de d’entreprise peut se permettre d’augmenter les prix sans impact négatif :
- les marques très puissantes. Si Coca Cola augmente ses prix de 10% irez vous acheter du Breizh Cola qui n’a augmenté ses prix de seulement 5%? Improbable.
- Les services supérieurs. Google propose un service bien supérieur à ses concurrents et est en réalité quasiment un monopole. Si Google augmente ses prix, les publicitaires devront toujours l’utiliser.
- Les monopoles ou duopoles. Par exemple même si les aéroports augmentent leur prix difficile de s’en passer.
- La nature des produits, notamment les produits de luxe. Si le prix du sac Gucci augmente de 10%, il est quand même probable que le client achètera. Ici le prix n’est clairement pas l’élément le plus important.
L’indicateur quantitatif du pricing power : la marge brute
L’indicateur quantitatif le plus facile à utiliser est celui de la marge brute. La marge brute est égale au chiffre d’affaires moins le coûts des ventes. En général plus l’entreprise apporte de la valeur ajoutée et de la différenciation plus les marges sont fortes.
Pour aider à la compréhension regardez ci-dessous le tableau de comparaison que j’ai établi avec les résultats 2021 de 3 géants du CAC40 :
-L’Oréal, parce que vous le valez bien, cher lecteur.
-Danone que l’on ne présente plus.
-Saint Gobain géant des matériaux de construction (et donc à plus faible marge que la magie de l’Oréal).
Première constatation, vous voyez que la marge brute de l’Oréal (74%) est supérieure à celle de Danone (47%) qui elle-même est bien supérieure à celle de Saint Gobain (27%). Prenons l’hypothèse d’une augmentation de 10% du coût des ventes des produits. Si les coûts augmentent de 10% pour l’Oréal l’impact serait de 843 millions d’Euros mais seulement 2.6% du chiffre d’affaires. L’Oréal n’aurait donc besoin d’augmenter ses prix que de 2.6% pour compenser une hausse de 10% du coût de ses produits. Pour Danone le chiffre serait de 5.3% et Saint Gobain encore pire avec 7.3%.
L’entreprise qui a les meilleures marges sera donc moins impactée par l’inflation que les autres. Elle pourra même se renforcer pendant que ses concurrents à moins forte marge se battront pour ne pas augmenter trop les prix et conserver des profits acceptables.
Critère numéro 2 pour choisir ses actions : les capitaux à investir pour l’activité et sa croissance
C’est peut être un peu contre intuitif mais dans un contexte inflationniste Warren Buffet déconseille les entreprises qui ont de forts besoins en capitaux. C’est à dire les entreprises qui ont besoin de beaucoup de capitaux pour continuer à fabriquer et où grandir.
Pourquoi? En général ces entreprises ne sont pas génératrices de cash mais consommatrices de cash. Hors dans un environnement inflationniste l’emprunt coûte plus cher et est plus difficile. De fait en plus de l’impact de la hausse des coûts des matières et de la main d’œuvre l’entreprise devra absorber une hausse de la charge de la dette.
Une entreprise dans le logiciel ou la publicité n’aura pas besoin d’investir beaucoup pour produire plus. A l’inverse une compagnie aérienne aura besoin d’acheter de nouveaux avions si elle veut transporter plus de passagers.
Cela dépend de la justification de l’investissement et de sa nature
Ce qu’il est important de souligner sur ce second principe est que le besoin en capitaux doit être récurrent ou supplémentaire. Si vous achetez au début d’un cycle inflationniste un bien immobilier que vous louez, ce n’est pas un problème. En effet vous avez sorti le cash une seule fois et vous ne devez pas racheter une nouvelle maison pour voir les loyers augmenter (ce qu’ils font naturellement avec l’inflation). En revanche une compagnie aérienne a des investissements constants pour renouveler sa flotte. Et devra aussi investir fortement dans des nouveaux avions si elle souhaite augmenter le nombre de passagers.
L’indicateur quantitatif : le ROCE
Le critère quantitatif le plus utile ici probablement le ROCE (Retour sur les capitaux employés). Définition en anglais d’Investopedia accessible ici. C’est le ratio entre le profit net divisé par les capitaux employés. Par exemple si vous générez un profit net de 20.000 € et que vous avez besoin de 100.000€ de capitaux pour ce faire le ratio serait de 20% (20.000€ / 100.000€).
Reprenons nos 3 entreprises L’Oréal, Danone et Saint Gobain.
Sans surprise L’Oréal a un meilleur ROCE que Danone et Saint Gobain. Ceci dit même si Saint Gobain a un taux de profit plus faible que Danone son retour sur capitaux employés est bien supérieur (10.8% contre 6.6%).
Comment interpréter ce chiffre dans un contexte inflationniste ? Et bien si Danone souhaite augmenter ses volumes de 10% alors l’entreprise devrait investir presque 3 milliards d’Euros soit 152% de son résultat 2021. Donc si Danone souhaite augmenter sa capacité de production cela voudrait dire qu’environ une année et demie de profits doit être utilisée pour ces nouveaux investissements. Alors que pour Saint Gobain le taux serait uniquement de 92.6% et l’Oréal moins de 50% a 46.1%. Donc si l’Oréal veut augmenter sa capacité de production de 10% il lui suffit d’utiliser la moitié du profit généré, l’autre moitié pouvant être utilisé pour verser des dividendes, racheter ses actions ou acquérir d’autres entreprises.
La démonstration ci-dessus est simplifiée et ne prends pas en compte la question du cash et de la dette mais l’important est explicité. Les entreprises qui ont les meilleurs ROCE sont mieux équipées pour gérer l’inflation.
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Critère numéro 3 pour choisir ses actions : des entreprises peu endettées :
Enfin le troisième critère moins connu : Viser les entreprises peu endettées. Pourquoi ? Lié au point précédent, si l’inflation est forte les taux d’intérêts augmenteront et donc la charge de la dette augmentera. Si l’entreprise est très endettée elle aura potentiellement des difficultés à se refinancer. Les conséquences pourraient être catastrophiques. Le seul avantage d’être endetté est le montant de la dette diminue en valeur relative chaque année. Donc si l’entreprise a les moyens de rembourser sa dette rapidement grâce au cash qu’elle produit ce critère de l’endettement n’est pas le plus important.
Par exemple Microsoft a une dette bancaire de plus de 47 milliards de Dollars ce qui est énorme en valeur absolue. Cependant Microsoft a généré plus de 60 milliards de Dollars en 2021. Donc avec le cash généré en quelques mois, Microsoft pourrait rembourser l’intégralité de sa dette.
Le critère qualitatif : comparer dette et cash généré
Le critère quantitatif le plus utile ici à utiliser ici est le ratio dette sur le cash généré par l’activité. Il n’y a pas de nombre magique car ils changent selon la nature du business mais à vous de voir s’il est raisonnable ou non. Par exemple une entreprise comme Coca Cola dont le profit est stable et en hausse peut se permettre un niveau d’endettement supérieur a une entreprise classée comme cyclique. Pour rappel une entreprise cyclique (et comme vu dans l’article dont le lien est ici) a un profit instable très lié à l’environnement économique. En conséquence le ratio d’endettement devrait être plus faible que celui d’un Coca Cola.
En tous les cas il faut s’assurer que l’entreprise ne prendrait pas trop de temps, au besoin, pour tout rembourser.
Des pistes pour conclure :
Les 3 secteurs ci-dessous ont des marges et ROCE supérieurs à la moyenne :
– Soins personnels
– Semi-Conducteurs
– Logiciels et technologies établies
Des industries qui ont des moins bonnes marges et ROCE faibles sont par exemple :
-Automobile
-Producteurs d’électricité.
En conclusion évidemment mieux vaut investir dans une bonne entreprise d’un mauvais secteur que l’inverse. Mais si on est un investisseur malin on souhaite investir dans une bonne entreprise d’un secteur relativement insensible à l’inflation. En l’occurrence une entreprise avec un très bon service / produit, des bonnes marges, un bon retour sur les capitaux employés et pas trop endettée.
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